My Life as a Duck – Charlie Winston
Dans le train, après mon petit café matinal, je m’amuse à explorer les autres wagons, malgré mon genou défectueux. Je traverse bien cinq ou six « platzkart » de troisième classe, avant de débarquer dans les « koupe » de deuxième classe. C’est ennuyeux, il n’y a aucune ambiance là-bas. Je préfère mon wagon. Je traverse tout de même le train jusqu’au bout, ça me prendra bien une bonne vingtaine de minutes. Au retour, un homme m’arrête, il me propose une cigarette. Nous voilà coincés entre deux wagons, dans une de ces passerelles hyper serrées et hyper bruyantes. Nous ne savons pas trop quoi nous dire, il ne parle pas bien anglais, je ne parle pas russe. Il arrive tout de même à me demander plusieurs fois si je suis toute seule, et comme à chaque fois, j’ai droit à un regard totalement ébahi quand je lui donne ma réponse. Il est gentil, je sens dans sa voix quand nous nous quittons qu’il me souhaite bien du courage. Ça me fait plaisir mais un peu rire aussi, s’il savait toutes les situations dans lesquelles je m’étais retrouvée… Il ne s’inquiéterait pas autant.
Je m’amuse à filmer les vues depuis la fenêtre du train…
https://www.youtube.com/watch?v=WDVAIskDGTA
Arrivée à Irkoutsk. Je prends le tram, j’arrive un peu plus tard dans une auberge très sympathique, qui vient d’ouvrir quelques jours auparavant. C’est trop fou, il y a plein d’autres voyageurs, et ils ne sont pas tous russes!! Mieux, il y a deux autres voyageuses solos. Wow! Je me sens un peu moins seule dans cette situation du coup. On s’échange des anecdotes, on en rigole… Les gens s’imaginent toujours qu’on vit si dangereusement, mais pas du tout! Enfin des personnes qui me comprennent. Les filles qui travaillent là sont aussi super sympas, on rigole beaucoup, on partage des repas. Je m’y sens bien, je décide de rester quelques jours, et puis, j’ai besoin de me reposer et de régler quelques trucs.
J’en profite quand même pour visiter la ville, qui n’a rien d’exceptionnel, mais j’aime bien l’ambiance tranquille qui y règne. Il fait aussi très chaud.
J’ai aussi visité quelques musées, dont la maison d’un décembriste (un groupe de révolutionnaires Russes du XIXe siècle) et une galerie d’art…
Y a plein de vieilles maisons en bois, voici la vue depuis ma chambre d’auberge
Mon problème du moment n’est pas tout simple: je dois me procurer un ordinateur. Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas fait ça en Suisse, c’est bête je sais, mais n’empêche que là, mes études à distance qui commencent dans quelques mois ne m’en laissent pas le choix, et je me sens pas trop d’en acheter un en Mongolie. Alors, plusieurs heures de galère plus tard dont je vous épargne les détails, me voilà avec un petit ordinateur au clavier mi-latin/mi-cyrillique et un système en anglais qui me balance quand même régulièrement des messages en russe. Je remercie mes cours de dactylo d’il y a dix ans, qui me permettent de taper sans regarder les touches, car elles ne sont pas toutes similaires au clavier suisse… Pour l’instant ça va, je gère. Et puis, c’est plus facile pour tenir mon blog aussi!
Bon, j’ai réglé mes petites affaires, j’ai envie d’aller voir le lac Baïkal, qui est la plus grande réserve d’eau douce au monde et dont les eaux sont cristallines. J’ai entendu parler d’une grande île au milieu du lac, Olkhon. On dit que c’est l’un des pôles chamaniques mondiaux, que c’est très joli et que l’ambiance qui y règne est très spéciale. Ça tombe bien, j’ai un peu de temps, je réserve donc un mini-bus qui va m’y emmener. C’est censé prendre 5 ou 6 heures, je dois partir le lendemain à 9 heures, je devrais arriver dans l’après-midi. Impro totale, je n’ai aucune idée où je vais dormir, à ce qui paraît l’île est bondée à cette époque de l’année…
Le lendemain, le bus débarque avec une heure de retard. Il y a un groupe de personnes dedans qui sont déjà en train de picoler, ils sont marrants. Le véhicule tombe en panne au milieu de nulle part, et je poireaute avec eux le temps d’attendre un véhicule de remplacement. Il y a un Israélien accompagné de trois femmes Bouriates (c’est-à-dire, de l’ethnie indigène peuplant les alentours du lac et originaire de Mongolie), ainsi qu’une femme du Bahreïn. Ils dansent sur des chansons traditionnelles, s’amusent, respirent la joie de vivre. Nous repartons deux heures plus tard. Quand nous arrivons au bord du lac, on nous dit que nous devons attendre une heure ou deux pour prendre le prochain ferry. Aucun problème, nous en profitons pour tremper les pieds dans l’eau et grimper les falaises alentour, la vue est époustouflante.
Sauf que cinq heures plus tard, nous sommes toujours là. Ça commence à faire un peu long. Nous décidons d’aller manger dans un restaurant pour passer le temps. Tout à coup, une des filles reçoit un coup de fil: le ferry est en train de partir sans nous! Nous courons comme des tarés, pour voir le ferry et notre bus rempli de tous nos sacs s’en aller sous nos yeux. C’est parti pour une autre heure d’attente. Mieux vaut en rire que d’en pleurer…
Ça y est, nous sommes à présent sur l’île. Le bus sinue sur des chemins boueux, il avance lentement. Je suis hypnotisée par les paysages énigmatiques autour de moi. Tout le monde commence à être bien bourré, faut dire que nous avons offert une bouteille de vodka aux autres passagers pour s’excuser d’avoir dû nous attendre une heure de plus. Ça m’amuse, je les regarde être à la hauteur des stéréotypes russes.
Lorsque nous arrivons enfin, il est 23 heures. Le groupe m’a généreusement proposé de camper avec eux. On se trouve un endroit pour poser les tentes et un gentil voisin nous amène du bois pour faire un feu. Je m’endors avant les autres dans un sommeil profond…
Le jour suivant, on profite du camp, on va nager un peu dans le lac. L’atmosphère est joyeuse, tranquille. (Et du côté Bouriate ça pompe toujours de l’alcool dès le matin)
Avec Eyal, mon nouvel ami israélien, on loue un vélo pour pédaler jusqu’à un sommet où il y a une jolie vue, malgré le brouillard. C’est très chouette!
Malheureusement, le temps passe trop vite, et après une autre nuit sur l’île, je m’en vais de bonne heure le matin. Le trajet du retour sera plus court et me permettra de profiter des beaux paysages russes lors des quelques arrêts.
Le soir, après avoir passé quelques heures dans l’auberge à tenter d’apprendre la phonétique française (“au”, “en”, “on”, etc.) à la réceptionniste russe (c’est un exercice très marrant), je m’embarque pour mon tout dernier trajet en train dans ce pays. Prochaine étape: Oulan-Oude.
01.08.2015
“Les gares sont des endroits émouvants. J’adore regarder les gens se retrouver à la sortie du train, je lis la joie de se revoir sur leurs visages, dans leur manière de s’étreindre. C’est beau. Lorsque le train démarre, au contraire, je vois la tristesse de se dire au revoir, je la sens, de couples ou familles qui se séparent. Mon cœur se serre dans ces moments-là; je pense à ma famille et mes amis qui me manquent. Aujourd’hui, j’ai reçu beaucoup d’amour depuis là-bas, en Suisse, alors au départ du train qui m’emmène d’Irkoutsk à Oulan-Oude, l’émotion m’envahit de façon particulièrement intense, cette fois. Je suis tellement reconnaissante envers les personnes qui pensent encore à moi, perdue dans mes contrées lointaines: ça me donne de la force, c’est ce qui me permet d’avancer quand les choses deviennent difficiles, car je n’ai pas d’épaule sur laquelle me reposer dans ces moments-là. Grâce à eux, je ne suis jamais vraiment seule, parmi tous ces gens étranges autour de moi qui parlent une autre langue et me regardent bizarrement. Je suis également comblée grâce aux rencontres que je fais ici. Sur l’île d’Olkhon, je n’avais pas vraiment de plan pour dormir, j’allais peut-être devoir passer la nuit sur la plage dans mon sac de couchage. Et puis, j’ai eu la chance énorme de rencontrer des personnes exceptionnelles, de Bouriatie, de Bahreïn et d’Israël, qui m’ont généreusement offert une place dans leur campement. L’espace de deux jours, j’ai eu l’impression de faire partie de quelque chose; j’étais “une des leurs”. Je leur souhaite tout ce qu’il y a de meilleur pour la suite de leurs chemins respectifs, ils le méritent, ce sont de belles personnes, comme toutes les autres. Je ne sais pas pourquoi je me sens si sensible ce soir, peut-être est-ce la pleine lune, ou peut-être le fait que ça soit la fête nationale en Suisse et que ça me fait un peu bizarre d’être si loin. Dieu sait pour mon anniversaire…”