14.10
“Faudrait que je dorme un peu plus, la nuit. Faudrait aussi que je mange moins de cochonneries et plus de fruits. J’aurais pas dû boire autant de bière hier, alors que je suis sous antibiotiques. C’est déjà pas facile de vivre sainement dans une routine; en voyage, c’est mille fois pire. Et puis, y a des trucs que je croyais bien enfouis qui remontent des fois, ça aide pas. J’suis en très bonne compagnie, mais nos discussions, elles me confrontent à moi-même. Enfin bref, j’veux pas ouvrir ce tiroir-là tout de suite. Plein de choses, tellement de choses qui m’arrivent, tellement d’aventures depuis que je suis partie. Je suis en Corée du Sud. Mon Dieu, ce que les gens sont gentils ici. Comme quoi, j’suis pas folle de croire que l’humanité peut avoir un bon fond. J’ai même oublié mon appareil photo dans le bankomat d’une ville de 10 mio d’habitants et l’ai retrouvé à peine une heure après m’en être aperçue, grâce à l’aide de policiers qui ne doivent pas avoir beaucoup de travail. Et les sourires, et la générosité de parfaits inconnus… Je suis chanceuse. Je ne dois jamais, jamais oublier ma chance. Surtout dans les mauvais moments. C’est fou, j’ai vraiment aucun fil rouge dans ce que j’écris, ça me fait juste du bien sortir tout ça. J’aimerais bien écrire quelque chose de plus construit. J’ai toujours rêvé d’écrire un livre. Un jour, peut-être. En attendant, ce carnet continuera à recueillir mes mots irréfléchis. Bonne nuit.”
Nous avons donc pris un bus de Danyang à Gongju, ce qui a permis à Luke de profiter des jolis paysages sur la route et à moi de roupiller une bonne partie du trajet pour regagner mes heures de sommeil perdues à trop penser.
La ville s’étale sur les deux rives d’une rivière, dont la vue depuis le pont est très agréable.
La ville abrite une ancienne forteresse. Nous la visitons en compagnie d’une Coréenne ayant grandi en Californie et son amie, sans en voir la totalité car les murs l’entourant s’étendent sur plusieurs kilomètres.
Ce jour-là, nous découvrons aussi un parc recueillant plusieurs anciens tombeaux. Ceux-ci se trouvent sous des collines, dans ce genre-là:
Et le lendemain, nous partons à découverte d’un autre temple, au pied d’une petite montagne que nous escaladons en quelques heures.
La vue d’en haut est magnifique.
Nous passons un vraiment bon moment dans cette ville. Le quartier où nous logeons est rempli de bars à karaoké douteux, qui ont l’air d’être un peu plus que ça… Curieux, nous décidons d’aller voir, pour en avoir le cœur net. Après être rentrés dans plusieurs endroits, nous ne pouvons qu’admettre que ce sont effectivement des bars à karaoké. Nous voulons quand même chanter, et dans le dernier lieu où nous rentrons, il y a des femmes en tenues suggestives; nous nous disons que décidément, on ne propose pas que des karaokés dans ces endroits. Mais à nous, on ne nous propose rien d’autre, peut-être qu’on a l’air trop innocents… 🙂 Quoiqu’il en soit, nous nous amusons comme des gamins à chanter très fort et très faux pendant une heure.
Mais il est temps de passer à la suite, et après quelques jours dans cette ville, nous prenons un autre bus, pour Jeonju cette fois. Jeonju est une ville comme une autre, à l’exception qu’en son centre, il y a un village traditionnel absolument charmant. Nous prenons un grand plaisir à flâner durant des heures le long des ruelles bondées qui semblent venir d’un autre temps…
Les locaux adorent poser pour des photos. Je ne vous dis pas le nombre de “selfie-sticks” qu’on voit, partout partout partout… Il y a un côté très superficiel chez les Coréens, surtout les filles: elles sont obsédées par leur image. Le pays a l’un des taux le plus élevé de chirurgies esthétiques au monde, notamment celle qui consiste à élever ses paupières pour avoir l’air plus occidental.
Il y aussi beaucoup de couples, habillés de façon assortie dans des tenues traditionnelles. C’est très mignon.
Physiquement, je commence enfin à nouveau moi-même; mentalement, c’est pas toujours évident, mais je ne peux pas me plaindre. Jeonju est incroyable, mais ce qui nous attend s’annonce très intéressant: nous avons prévu de passer quelques jours dans un temple bouddhiste. C’est une super opportunité pour mettre les choses au clair dans ma tête. Je vous raconte tout ça bientôt!
Belle belle Sophie,
Merci de me permettre de m’évader un court instant, le temps de lire ton récit de voyage. Après ce qu’il s’est passé ce weekend c’est vraiment bon. On a beaucoup pleuré, on a eu peur, on a tremblé. Et on s’est focalisé sur cette ville lumière sur qui des hommes malades ont jeté un voile opaque. Et on a oublié tous les autres qui vivent cette horreur continuellement. Je trouve si dur d’avoir l’impression que nous mettons une valeur sur la vie des gens, comme si on estimait que certains seraient plus durs à perdre, que certains causeraient plus de tristesse s’ils s’en allaient. C’est franchement insupportable! C’est tellement à l’encontre de tout ce en quoi je crois encore. Bien sûr je comprends que comme ça arrive juste à côté de chez nous, ça nous choque et on est très très touchés. Mais par contre que le monde entier se soulève et s’outre et se révolte en l’espace de quelques heures, alors que la même chose s’est passé en même temps, dans d’autres endroits du monde, des endroits laissés pour compte. Je ne peux pas comprendre ça. Je me demande si, si les jeunes de Beirut twittaient comme on twitte depuis l’Ouest de l’Europe, en live ce qu’ils voient, ce qu’ils vivent, est ce que le monde entier se mobiliserait comme il l’a fait ce weekend? Est ce que les dirigeants des pays puissants réaliseraient que la terre va mal et que les gens sont en danger et qu’il faut réagir au plus vite?
Et même au milieu de choses si froides, si brutales, je continue de croire au fond de moi que le monde n’est pas entièrement perdu. Enfin…je recommence à croire. Peut-être même que j’y crois plus fort, justement parce que les villes se remplissent de terreur. Comme si au milieu de tout ce vacarme et des explosions et des cris et des gens perdus, je me sens le devoir ou plutôt l’envie tenace d’aller prendre les gens par la main et de les accompagner vers un peu de lumière. Elle se trouve au fond de moi, cette lumière, je le sais, je la sens. C’est pas forcément facile de la partager parce que je sens que les gens auraient plus tendance à se refermer qu’à me laisser entrer. Et je peux comprendre, tout le monde commence à avoir peur, très peur que l’horreur se rapproche, mais justement, c’est exactement pour cette raison que j’aimerais qu’on s’ouvre, tous. J’ai cette phrase qui me tourne en boucle dans la tête depuis samedi, phrase que j’ai lue sur le carton d’un homme qui manifestait dans une foule: VOUS ALLEZ VOUS AIMER LES UNS LES AUTRES BORDEL DE MERDE. Comme un appel, comme on supplie les gens d’enfin se tourner les uns vers les autres et de s’ouvrir les bras.
J’ai envie de câlins, d’en donner et d’à mon tour me laisser prendre dans les bras de quelqu’un. Ce matin, on a fait un exercice en classe où on devait parler d’une expérience qui nous a donné du fil à retordre et à travers laquelle on s’est découvert des ressources. On l’a partagée à un groupe de trois personnes et puis à tour de rôle on s’écrivait sur des post-its les ressources que l’on voyait chez l’autre. Et ça m’a fait beaucoup de bien, déjà parce que c’est toujours bon de se découvrir des qualités, des choses positives dont on dispose pour gérer ce qui nous arrive, mais aussi parce que tu vois tout de suite, quand tu dis à l’autre ce que tu vois en lui, qu’il ne s’en était pas forcément rendu compte et que ça lui fait du bien de l’entendre. Je crois que je vais garder les post-its avec moi et en distribuer autour de moi pour dire aux gens ce que j’aime chez eux, qu’ils sont beaux et qu’ils peuvent changer le monde.
Tu peux changer le monde Sophie! 🙂 Tu vois tu me fais déjà voir la vie un peu autrement, en t’écrivant je me rappelle de ce qui m’anime au fond du coeur, ce qui m’habite. Par ton voyage, par tes expériences, tes rencontres, tu nous rappelles combien la vie est pleine de lumière, de bonté, de surprises et qu’elle vaut la peine d’être vécue, d’être explorée. Et tu me rappelles combien il est important de vivre ses rêves, et surtout d’être cohérente avec moi même et avec ce que je sens.
Merci. C’est très précieux
Prends soin de toi, (mon dieu, la prof vient de dire « Ce weekend j’étais avec une fille qui jouait de la flûte traversière et elle s’appelait Sophie ». petit clin d’oeil
Des bisous tout doux Noémie
Très chère Noémie,
Merci à toi, ma plus fidèle lectrice 🙂 Tes réactions, tes mots, ta personne me font sentir un peu moins seule dans ma manière un peu “utopiste” de voir les choses, et ça me fait un bien fou.
Après avoir appris les événements d’il y a quelques jours, j’ai été au début très découragée; on a beau vouloir propager le bien, on dirait que le mal arrive toujours à s’immiscer entre nous d’une façon ou d’une autre… Et comme tu dis, ce genre d’événéments se déroule constamment, partout, mais il faut que ça arrive chez nous pour que les gens s’en soucient. C’est bien triste.
Mais je me suis vite reprise: on va pas se laisser décourager comme ça! On y croira, on croira au bien jusqu’au bout!! 🙂
Je suis très heureuse de pouvoir t’apporter un peu de cette joie! Je ne compte pas arrêter d’écrire de sitôt! Encore une fois, merci, merci à toi.
On changera le monde, tous ensemble, pas à pas!
Prend très soin de toi aussi. Mes plus belles pensées t’accompagnent ce soir.
Milles bisous
Sophie