Je sais que c’est le premier article que j’écris depuis mon retour en Palestine, et je suis désolée que ce ne soit pas un message très joyeux. J’espère que vous n’interpréterez pas cela comme un signe que Naplouse est un endroit très sinistre, car ce n’est pas le cas. Je prévois d’écrire très bientôt sur toutes les choses merveilleuses dont je suis témoin ici, mais je ne peux pas non plus nier que parfois, la situation devient vraiment difficile. Et comme ce que je vais vous raconter est arrivé il y a quelques jours, j’ai pensé qu’il ne fallait pas attendre trop longtemps avant d’en parler.

Jamal Mohammed Dwaikat avait 20 ans. Il a grandi dans le village de Balata, près du plus grand camp de réfugiés de Cisjordanie, à l’est de Naplouse. Comme pour tout le monde ici, sa vie a toujours été étroitement liée à l’Occupation. Pendant la deuxième Intifada, par exemple, la ville était totalement assiégée, il y avait des périodes de couvre-feu de plusieurs semaines, où sortir de sa maison ou même montrer son visage à la fenêtre pouvait vous faire tirer dessus par les soldats israéliens qui se déplaçaient constamment dans le village en chars.

Cependant, les enfants ont la merveilleuse capacité de tirer le meilleur parti de ce qu’ils ont, et Jamal s’est fait de solides amitiés à l’école, qui l’ont accompagné tout au long de son adolescence jusqu’à aujourd’hui. Au lycée, il faisait partie d’un groupe d’une quinzaine de jeunes garçons qui traînaient toujours ensemble . À cette époque, son rêve était de faire une école de sport.

Mais la vie avait d’autres projets pour lui. À 16 ans, il a été arrêté et mis dans une prison israélienne. Il avait jeté des pierres aux soldats qui envahissent son village une fois par semaine afin de permettre aux colons de venir prier sur la tombe de Joseph, un lieu saint pour les Juifs qui prétendent que c’est la tombe d’un patriarche. Des centaines d’entre eux viennent chaque semaine, et chaque colon a plus ou moins quatre soldats pour les protéger. Les soldats viennent une première fois avant les colons afin de “nettoyer” la zone. La population locale affirme qu’il s’agit simplement de la tombe d’un homme d’une importante famille palestinienne, Joseph Dwaikat. La vérité ne sera probablement jamais connue, mais il est indéniable que, semaine après semaine, les soldats viennent perturber la tranquillité des habitants dans leur propre village, souvent de manière très menaçante. Et alors que les soldats disposent de toutes sortes d’armes et d’équipements militaires sophistiqués, les Palestiniens se battent avec ce qu’ils ont ; jeter des pierres est depuis longtemps un symbole de la résistance palestinienne.

Jamal a passé 3 ans en prison pour ce geste. Il a également été accusé de fabriquer des armes, mais cela n’a jamais été prouvé. Malheureusement, il n’y a pas de procès équitable quand il s’agit de ces questions. Ces années ont été très difficiles pour lui ; les prisons israéliennes n’ont pas la réputation d’être tendres avec leurs prisonniers. Ironiquement, en tant que fan de sport, après quelques mois, il a été rejoint en prison par son ancien professeur de sport. Régulièrement, ses amis lui écrivaient pour lui témoigner leur soutien, et quand il a finalement été libéré il y a un peu plus d’un an, plusieurs milliers de personnes étaient là pour l’accueillir. C’était une grande source de joie pour lui, mais il a également eu du mal à se réhabituer à une vie “normale” après cela. Tous ses amis avaient avancé dans leur vie alors qu’il pensait devoir repartir de zéro. Il était aussi beaucoup plus calme qu’avant d’aller en prison. Cependant, Jamal s’était lentement réhabitué à son ancienne vie, et il avait trouvé du travail depuis.

Jusqu’à ce dernier jeudi soir. Jeudi soir, les soldats précédant les colons ont décidé de venir plus tôt que d’habitude ; ils avaient pris l’habitude de venir dans le village après minuit, mais pour une raison quelconque, jeudi dernier, ils sont entrés dans le village vers 22h30. À cette heure, il y a encore beaucoup de monde dans les rues. Jamal buvait un café avec ses amis dans un établissement qui se trouve dans la même rue que le Tombeau de Joseph. Des soldats sont arrivés en Jeep. On ne sait pas exactement ce qui s’est passé; certains affirment que le jeune homme a essayé de leur lancer un cocktail Molotov, mais il n’y a aucune preuve de cela. Quoi qu’il en soit, le résultat est qu’ils ont commencé à tirer. Ils se sont mis à tirer plusieurs balles depuis leur Jeep, au hasard, dans la foule des gens qui vivaient leur vie dans le village. Jamal était l’un d’entre eux. Et il a été touché à la tête, la balle arrivant du côté de son visage et sortant par l’arrière. Dès que son ami l’a vu tomber, il l’a emmené dans une maison voisine. De là, un taxi l’a conduit à l’hôpital, car il saignait beaucoup et n’avait pas le temps d’attendre une ambulance.

Les affrontements ont continué toute la nuit à Balata. Certains disent que Lieberman, le nouveau ministre de la défense d’Israël, issu du nouveau gouvernement dont on dit qu’il est le plus extrémiste que le pays ait jamais eu, se rendait sur la Tombe avec les colons.

Jamal a ensuite été transféré dans un hôpital de Tel-Aviv pour y recevoir un meilleur traitement, ce qui a empêché ses proches de lui rendre visite. Il est resté dans un état très critique, en état de mort cérébrale et dans le coma pendant plusieurs jours. Hier, sa mort a été annoncée. Les autorités israéliennes ont d’abord refusé de rendre le corps, mais il semble qu’il sera libéré ce soir. La région a été très tendue ces derniers jours, certains manifestants tentant de brûler la tombe de Joseph. Ils se battent contre les policiers de l’Autorité palestinienne qui défendent la zone. Il ne fait aucun doute que les gens souffrent profondément, qu’ils sont blessés et fatigués, et je crains que les choses ne s’annoncent pas très prometteuses pour l’avenir proche. Le Ramadan vient de commencer d’une manière très triste.

Repose en paix, Jamal.