24.07
“Parfois, je me demande ce que je fous là. La noirceur me rattrape, je cherche du sens, je me sens un peu désemparée. Mais je relativise: je me suis sentie comme ça pendant des mois avant de partir, c’est normal que ça ressurgisse de temps en temps. Ça fait partie du processus. Je ne cherche pas non plus à l’éviter: si je me sentais bien tout le temps, là, ce serait une fuite. Et je ne fuis pas, non, je passe à autre chose. Je ne veux plus de cette culpabilité qui m’envahit chaque fois que j’appelle mes parents et que je ressens leur déception de ne pas m’entendre dire: “C’est bon, j’ai fini ma lubie, je rentre à la maison”. Je sais qu’ils y croient encore, et ça me déchire le cœur de leur causer tant d’inquiétudes. Pourtant, je ne peux laisser cela m’arrêter de suivre mon chemin. J’aimerais qu’ils comprennent que, même si ce n’est pas facile tous les jours, je suis bien plus heureuse comme ça. J’ai déjà de la chance d’avoir leur aide précieuse et leur soutien sans faille, mais j’aimerais qu’ils soient en paix avec toute cette histoire, pour que je puisse l’être aussi. Je les aime tellement, je veux pas qu’ils se fassent du soucis. Ici, je commence à en avoir un peu marre du regard des gens. Je me sens de plus en plus constamment jugée, quand je me promène seule avec mon gros sac à dos. Je sais qu’ici, on n’a pas trop l’habitude des étrangers, mais c’est plus pesant qu’ailleurs, je sens qu’on me prend un peu de haut. J’en ai aussi marre de me sentir assistée, comme l’autre soir avec la contrôleuse du bus ou encore hier, dans le train, lorsqu’un homme âgé a demandé au voisin de faire mon lit à ma place, car je suis de “Schvizaria” et donc naturellement, je ne sais pas le faire moi-même. Ça part d’une bonne intention, je sais, mais c’est désagréable. Comment les gens s’imaginent-ils que je suis arrivée jusque-là si je ne peux rien faire de moi-même?!
Bref, même si j’apprécie beaucoup ce pays, j’arrive gentiment au bout quant à certaines de ses personnes. L’autre jour encore, je me suis faite hurler dessus par de vieilles vendeuses de fruits parce que je ne voulais acheter qu’une partie d’un énorme panier de framboises et pas le panier entier (autant vous dire que je suis partie sans rien leur acheter du tout). Mais ça tombe bien, après une visite de Krasnoïarsk, où je vais faire du couchsurfing, et du lac Baïkal, je me retrouverai enfin en Mongolie dans quelques jours. Ca promet!”
Tout ça, c’était avant mon incroyable séjour à Krasnoïarsk, qui m’a complètement remotivée et réconciliée avec les russes et leur fort caractère…
27.07 (Pensée pour mon ami Nicolas qui fête son anniversaire en Indonésie)
Ce trajet en train est très tranquille, ça me fait du bien. On ne m’a presque pas parlé, je n’ai donc pas dû justifier mon absence de connaissance de la langue russe. Pas d’yeux ébahis devant mes photos, pas de petit vieux qui s’énèrve de ne pas pouvoir communiquer après avoir essayé pour la 10ème fois. Ca me laisse du temps pour repenser avec bonheur aux merveilleuses rencontres de Krasnoïarsk. Je devais rencontrer Anya, également une amie de mon amie Ekaterina (originaire de cette ville) mais étant absente le jour de mon arrivée, elle a organisé en un éclair que quelqu’un du groupe Couchsurfing de la ville m’accueille. C’est ainsi que je me suis retrouvée chez Nikita, un homme d’une rare générosité et avec qui j’ai pu avoir de longues conversations sur tout et rien. Il m’a emmené visiter quelques jolis points de vue de la ville et manger des plats locaux (en refusant toujours que je paie quoi que ce soit, hospitalité russe oblige!)
Avec ce même groupe, nous avons visité la réserve naturelle de Stolby, composée de roches volcaniques. J’ai même pu repousser mes limites en grimpant jusqu’en haut d’une de ses montagnes de roches, sans aucune sécurité. J’ai par moments bien cru que j’allais y rester mais la vue de là-haut était splendide et en valait bien la peine. Et en si bonne compagnie en plus!
Le trajet à pied pour y accéder durait 03h30.. plus une heure pour gravir la montagne!
Le lendemain, j’ai retrouvé Maxim, qui était avec nous pour la balade, et Anya, qui nous a rejoint pour un barbecue au bord du lac. C’était magique.
Maxim en a profité pour faire une petite session photo… 🙂
Le soir, Anya, Maxim et Nikita m’ont accompagnée à la gare pour prendre mon train pour Irkoutsk. J’avais l’impression de quitter des amis de longue date, mes “crazy russians” à moi! Ces personnes étaient toutes d’une bonté incroyable, je souhaite de tout cœur les revoir un jour. Ce sont ces rencontres-là qui donnent un sens à ce que je fais. Ils m’ont donné un élan d’énergie pour la suite. C’est donc toute souriante que j’écris ces lignes, malgré un genou bousillé (je l’ai malencontreusement frappé violemment contre la porte métallique du train et il me fait toujours très mal après une nuit, je suis un peu inquiète).
Hier soir, beaucoup de pensées diverses me traversaient l’esprit. Je pensais à la différence entre cette vie-ci et ma vie en Suisse, et pourquoi je suis beaucoup plus sereine comme ça, malgré les circonstances qui sont beaucoup plus agitées et instables. Aussi loin que je me souvienne, petite déjà, le quotidien ne me satisfaisait pas et je passais des heures par jour à m’inventer des histoires dans la tête, à m’imaginer vivre de folles aventures. Je me disais à moi-même: “Un jour, j’accomplirai de grandes choses” et n’ai jamais vraiment aspiré à suivre le chemin “normal” du types études-boulot-famille-retraite. La musique m’a toujours permis de m’échapper l’espace d’instants précieux dans ce monde de fantaisies, où tout est beau, tout est poésie. La lecture et l’écriture aussi bien sûr, le théâtre également, et d’autres choses pas autant saines. Mais quelque chose manquait toujours, sans savoir vraiment quoi, car la “réalité” s’acharnait toujours à me ramener sur terre, à m’implanter dans la tête que dans la “vraie vie”, les gens étaient rationnels et que mes rêves étaient ceux d’une petite fille, comme à l’époque où je disais à qui voulait bien l’entendre que plus tard, je serai pirate!
Et puis, je ressentais tout si fort, si intensément, tellement d’émotions me parcouraient constamment (et le font toujours), mais on m’a dit de les cacher, qu’elles étaient une marque de faiblesse. Alors je me suis résignée, comme tant de gens autour de moi. Je les ai vu vivre des passions à travers l’amour, à croire si jeunes qu’ils avaient trouvé l’homme ou la femme de leur vie. Je suis tombée dans le même piège plusieurs fois, à me déchirer le cœur pour des illusions bâties de toute pièce dans nos cerveaux. Mais je comprends maintenant, c’est le seul domaine où l’on est encore permis de rêver, de croire aux contes de fées, parfois la seule manière de donner un but à nos quotidiens ternes qui en sont démunis. C’est un échappatoire comme un autre, comme celui qui consiste à sortir tous les week-ends pour se mettre dans des états dangereusement stupides, ce que j’ai fait aussi.
Mais un jour, je suis partie. Je suis partie et suis arrivée en Afrique, là où tout est différent et nouveau, les sons, les odeurs, les gens. Là où l’on vit dans l’instant présent. Mon périple a continué, ailleurs, et j’ai ouvert mon coeur et mes sens à ces mondes inconnus. Et pour la première fois, j’ai compris. J’ai compris ce qu’était le vrai bonheur, je l’ai vécu. Comme une seconde naissance, et cela a duré 5 merveilleux mois pendant lesquels mes rêves d’aventures sont devenus réalité, où malgré les moments difficiles, j’étais pleinement en vie. Et puis, le rêve a pris fin, je suis rentrée, pour retomber peu à peu dans cet état léthargique où je subissais ma vie plutôt que de profiter de chacune de mes précieuses secondes sur Terre. Avec de nouveaux yeux cette fois, avec un regard beaucoup plus conscient et critique par rapport à toutes les incohérences de notre système que “la masse” semble accepter sans voir le besoin d’en changer. Jusqu’au jour où, par une suite de circonstances qui à mes yeux n’étaient pas un hasard, je me suis demandé: “Pourquoi pas?”.
Ça n’a pas été facile. Ma raison et une part de mon entourage se sont acharnés à me faire redescendre sur terre, à me forcer à accomplir ce que la société attendait de moi et mon hyperémotivité. Mais j’ai choisi. Choisi d’écouter mon cœur, choisi de suivre l’appel du bien, du juste. Choisi le bonheur. Depuis, ma vie est l’aventure dont je rêvais, et ce n’est plus temporaire, non, c’est ma nouvelle réalité, et je ne ressens plus le besoin d’y échapper. Alors, tout prend un sens, toutes ces années de détresse, d’incompréhension, de difficultés à trouver ma place. Elle n’était simplement pas là-bas. Maintenant, je suis exactement où j’ai besoin d’être, même si je n’y serai déjà plus demain.
Merci.