Cette année touche à sa fin, tout comme le devrait peu à peu le chemin que j’ai été forcée d’emprunter, celui du lâcher-prise.
Je vais confier le fardeau de ce même sujet une dernière fois à mes lecteurs, mais cette fois sera probablement la dernière. Parce que beaucoup d’autres choses se sont déroulées dans ma vie, mais le deuil en fait encore grandement partie, et parce que j’en ai envie, besoin. Parce que je peux parler de tout le reste plutôt souvent mais que ceci est une question que je ne peux la plupart du temps qu’affronter seule face à moi-même, et que ce blog est un exutoire pour mes pensées les plus profondes. J’espère ainsi que les gens qui me suivent ne m’en voudront pas pour ce qui pourrait être perçu comme un manque d’originalité.
Ce qui suit est destiné à Numan.
Hier soir, j’ai rêvé de toi. Je sais, ce n’est qu’un rêve, ce n’est pas censé vouloir dire grand chose. Mais pour moi, ça veut dire beaucoup. Ca fait des mois maintenant que j’attends de rêver de toi. Depuis que tu es parti, tu ne m’avais pas visité une seule fois dans mon sommeil et au début, je ne comprenais pas vraiment pourquoi. Je suppose que maintenant, je comprends. J’avais besoin d’être prête. De te voir dans mes songes et quand même vouloir affronter le jour.
Ça n’a pas toujours été facile d’affronter les jours, cette année. Au début, je ne l’ai pas vraiment fait. Et puis, peu à peu, j’ai ramassé les morceaux et j’ai combattu toute la peur, toutes les incompréhensions, toute la tristesse. Il y a beaucoup à affronter, tu sais. Genre, vraiment beaucoup. Des années à vivre cette vie agitée, à saisir des données nouvelles presque quotidiennement sans vraiment jamais prendre le temps de traiter tout ça. Je veux dire, je suis sûre que ça marche pour certaines personnes. Probablement. Je croyais que ça marchait pour moi pendant longtemps et j’ai évité les signaux d’alarme. Je voulais aller partout, tout voir. Je refusais de laisser quiconque me dire que je ne pouvais pas. J’étais fière..
Ne me méprends pas, j’ai encore envie d’aller partout, de tout voir. Quand le moment sera venu. Tu sais, quand j’ai pris la décision de partir, il n’y avait pas de retour en arrière possible. Il n’y en aura jamais, et je ne veux jamais en avoir. J’aime ce que j’ai appris, ce que je sais, et je chéris les morceaux de mon cœur qui appartiennent à des contrées éloignées. Mais c’est ça, le truc: ce sont des foutus morceaux de mon cœur, mon cœur très vivant, mon cœur qui bat et ressent tout très fort, qui ne peut juste aimer sans conséquences. Je ne sais pas comment font les autres, honnêtement, tous ces gens qui vont sans arrêt d’un endroit à l’autre, je ne sais pas ce qu’ils font de ces morceaux. Je sais à quel point je parais contradictoire, je sais que je suis une de ces personnes, même si je donne une pause à mon cœur pour le moment. Peut-être qu’ils ne se laissent pas aimer assez loin, peut-être qu’ils savent comment se protéger juste assez, ou peut-être simplement qu’ils ne réalisent pas. Peut-être qu’ils croient naïvement, comme je le croyais auparavant, que de rajouter toutes ces expériences à leur check-list et de rencontrer tout le temps des nouvelles personnes, d’apprendre constamment à propos de ces nouvelles cultures et langues et lieux, va remplir le vide à l’intérieur. Peut-être qu’ils ont besoin d’aller juste un peu trop loin, comme moi, pour comprendre que cette stratégie marche très bien, jusqu’à ce qu’elle ne marche plus. Et là, tu es laissée avec encore plus de doutes et de questions qu’avant.
L’autre jour, j’ai lu quelque chose sur un discours qu’a donné J.K. Rowling à propos de l’échec. A un moment donné, elle dit quelque chose du genre: “Ma plus grande peur s’était réalisée, et j’étais encore vivante.” Et ça m’a frappé. Je suis toujours vivante. Depuis que je suis ado, depuis que mon grand-père est décédé, ça m’arrivait souvent d’être envahie d’une profonde anxiété juste en pensant à l’idée que des gens proches de moi puissent mourir. Je sais, c’est glauque, mais j’imaginais devoir aller à l’enterrement de mes meilleurs amis ou ma famille et ça me faisait pleurer, parfois. Je croyais que c’était quelque chose que je ne pourrais tout simplement pas être capable de gérer. C’était assez dur comme ça déjà de voir des membres plus âgés de ma famille partir, mais il y avait quelque chose à l’idée que la vie pouvait s’arrêter si abruptement avant que quelqu’un puisse vraiment la vivre qui me terrifiait plus que tout au monde.
Et puis, c’est arrivé. La personne dont j’étais la plus proche, celle qui m’a offert l’histoire d’amour dont j’avais toujours rêvée, mon meilleur ami, est tombé malade, et il est mort. Tu es mort. Ma plus grande peur s’est réalisée…. et je suis toujours vivante.
J’ai aussi appris quelques trucs au passage.
J’ai appris que le fait que tu sois parti si jeune ne t’as pas empêché de “vraiment” vivre ta vie jusque là. Tu as inspiré tellement de gens. Du fait d’avoir traversé la douleur de ta maladie et ta mort en solitaire (ça me semble si égoïste de dire ça, si quelqu’un a souffert, c’est toi), j’ai appris que j’étais beaucoup plus seule que ce que je pensais, et même si j’étais fière de ma capacité à être seule avec moi-même pendant longtemps, être seule n’est pas impossible, simplement, c’est plus difficile. J’ai appris que je n’étais pas aussi forte que ce que je croyais, et que mon esprit réagit de manière très intense quand il est confronté à des émotions autant extrêmes, des manières qui ont fait du mal aux gens autour de moi. J’ai appris que ces choses prennent du temps, qu’il y a des erreurs à faire afin de pouvoir en grandir. J’ai appris que la douleur sera toujours là, et que ce n’est pas une mauvaise chose. La douleur fait partie de la vie, et si je ne prends pas soin de cette part de moi qui est fragile et vulnérable, si je ne permets pas à mon cœur de ressentir ce qu’il désire ressentir, je ne pourrai jamais vraiment guérir. J’ai appris que pour pouvoir aller de l’avant, je devais me poser et contempler ma vie en toute honnêteté, admettre que je n’ai pas toutes les réponses et me pardonner.
J’ai aussi appris que d’être à l’autre bout du monde ne fait pas disparaître tes problèmes. Que d’être à la maison peut être un voyage tout autant que de parcourir le monde.
Je crois que tu ne m’a pas visité dans mes rêves avant parce que tu savais que je n’étais pas encore prête. Cette part de mon esprit, celle où vivent les fantaisies et où mes songes sont créées, où je me cache quand le monde au dehors devient trop difficile à gérer, où je m’aventure plusieurs fois par jour et où tout va très bien et que tu es encore bien vivant, tu appartiens à cet endroit maintenant. Avec d’autres, comme Fouad, que je n’ai jamais mentionné ici mais dont la mort me rend aussi profondément triste. Fouad était un jeune homme brillant et ambitieux, l’une des premières personnes que j’ai rencontrées à Naplouse, et qui malheureusement s’est fait poignardé à mort, victime d’une profonde injustice et une violence incompréhensible.
Vous y résidez maintenant tous deux, dans le cœur et l’esprit des gens, et j’aime savoir que vous y êtes, mais ce n’est pas la vraie vie. Voilà autre chose que j’ai dû apprendre et je crois qu’en un sens, tu le savais. Tu savais que tant que je n’aurai pas appris cela, il n’aurait pas été sage de ta part de venir me visiter dans mes rêves, tu savais que ça aurait tout rendu plus difficile pour moi de comprendre que tu n’existes plus que là-bas, et que ma vie à moi est ici. Avec les vivants, dans le vrai monde. Dans ce putain de monde si dur et si cruel, parfois. Et je peux venir te voir, je le ferai toujours, mais je ne peux pas y rester trop longtemps si je veux devenir toutes les choses que je veux devenir un jour, si je veux vivre ma vie réellement.
Passenger – Life’s For The Living
La nuit dernière, j’ai rêvé de toi, pour la première fois. Et je voulais quand même me réveiller et vivre ma journée, et je crois que cela veut dire que je me suis peu à peu préparée. Tout ce temps, je pensais que la partie la plus difficile était de te dire au revoir mais je crois que c’était bien plus que cela. Je devais lâcher prise. De toi, mais aussi de la personne que j’étais avant que je ne te perdes. Je crois que j’ai accompli une grande part du voyage nécessaire pour y arriver. Je crois que je me comprends mieux maintenant, même si je réalise qu’il y a encore une longue route devant moi. Le chemin d’une vie entière.
Je suis encore fière, peut-être même encore plus. Je n’aurais jamais pensé pouvoir faire tout ce chemin en une année. Ce n’était définitivement pas de cette façon que je pensais que les choses allaient se dérouler, mais je suppose que c’est celle dont j’avais besoin pour grandir. J’ai attendu ce moment depuis longtemps, de pouvoir dire: “Ca y est. Je suis sortie de ce sombre tunnel. J’ai survécu, et je suis prête à affronter la suite.”
Je ne serai jamais comme tous ces gens. Je ne l’ai jamais été. Mon esprit sera éternellement agité, mes émotions exacerbées me feront toujours vivre intensément et ma curiosité me fera toujours chercher plus. J’aurai toujours de bouts de cœur en Corée du Sud, en Bulgarie ou encore au Togo, et encore un plus gros morceau en Palestine. Je me demanderai toujours qui je suis et qu’est-ce qui me définit exactement, je poserai toujours des questions existentielles au monde. J’ai pris une décision il y a quelques années, et ça n’allait jamais être une route facile à suivre. Mais pfiou! Ca a été une chevauchée remarquable, et je suis impatiente de voir où elle va m’emmener ensuite. Ma vie est une histoire qui reste à écrire et je me réjouis déjà d’y poser des mots.
Pour l’instant, c’est en Suisse qu’elle se passe et c’est lent et calme et studieux, mais c’est bien. Quelques amis m’ont visité ici et j’ai pu explorer mon pays avec eux, comme le montrent ces images. Je chéris ces moments, je chéris d’avoir la chance de les avoir dans ma vie. Cela m’aide à guérir.
Je crois que ça fonctionne, parce que hier soir, j’ai rêvé de toi. Et j’ai encore envie d’affronter cette journée.
🙂