Bonjour à tous!
Je voulais juste donner quelques nouvelles, pour ceux d’entre vous qui se demandent peut-être où je peux bien être durant cette pandémie. Sans surprise, je suis là où j’ai été ces six derniers mois : en Équateur. Plus précisément, je suis à Las Tunas, un petit village côtier où, comme vous le savez sûrement déjà, mes amis ont ouvert une auberge il y a quelques mois, en rénovant une belle propriété à quelques secondes de la plage. Ça s’appelle Onda hostel et c’est génial.
Comme beaucoup d’entre vous, nous avons été placés en (semi) confinement depuis environ deux semaines. Cela a été une expérience nouvelle et éprouvante pour nous tous. En tant que voyageurs, nous sommes tous loin de nos amis et de notre famille restés au pays, et certains d’entre eux appartiennent à une catégorie de personnes plus vulnérables, ce qui inquiète beaucoup d’entre nous. Nous ne savons pas si nous devons rester ici ou essayer de rentrer chez nous en risquant d’être infectés et de propager l’épidémie, potentiellement à nos proches. Nous ne savons pas non plus combien de temps nous pourrions être coincés dans un pays qui n’est pas le nôtre, et où nous pourrions ne pas avoir accès à des soins de santé adéquats au cas où quelque chose nous arriverait. Toute cette incertitude a été la source de beaucoup d’anxiété.
Mat & Maribel, les propriétaires, ont fait un travail formidable en prenant soin de nous tous. Ils sont maintenant préparés à pratiquement toutes les éventualités, y compris celle de devoir nous isoler au cas où le virus arriverait ici. Pour l’instant, les cas les plus proches déclarés se trouvent à deux heures de chez nous, et le pays est en confinement depuis un certain temps, ce qui nous fait espérer que notre région ne sera pas trop touchée. Il est inquiétant de penser à la quantité limitée de ressources auxquelles les gens ont accès ici, par rapport à nos pays occidentaux qui sont habituellement si sûrs et organisés. Si eux galèrent autant en ce moment, je n’ose pas imaginer comment le reste du monde va être touché. Cela me rend triste de penser à toutes les personnes les plus vulnérables dans cette situation. Comme d’habitude, elles vont arriver en dernier, car c’est la réalité du monde dans lequel nous vivons. Une réalité dont je suis très consciente, alors que je me trouve dans un groupe d’Occidentaux privilégiés qui profitent des bons côtés de la vie équatorienne pendant que beaucoup sont confrontés à de grandes difficultés.
En même temps, nous avons eu le privilège de traverser cette situation ensemble, en tant que communauté. Cela nous a déjà beaucoup appris. Après le choc initial qui a suivi la nouvelle du coronavirus et le constat de la fermeture, les unes après les autres, des infrastructures et des frontières dans ce qui semble être un scénario de “fin du monde”, nous avons réalisé que nous pourrions avoir à passer un certain temps ensemble. Heureusement, nous formons un groupe vraiment sympa. Nous avons décidé de mettre en place certaines activités afin de nous occuper et de prendre soin de notre santé mentale, tout en cultivant nos liens. Grâce au yoga, à la méditation, aux discussions de groupe, aux dîners communs et à d’autres projets amusants de ce genre, nous prenons régulièrement le temps de regarder où nous sommes et avec qui, et d’apprécier la compagnie de chacun. Nous partageons beaucoup sur ce que nous vivons individuellement, et c’est une grande source de soutien. Nous en sommes aussi venus peu à peu à apprécier à quel point chacune de nos propres émotions et idées rebondissaient sur les autres, surpris de voir à quel point nous pouvions influencer nos humeurs. Grâce à tout cela, nous continuons à apprendre les uns des autres chaque jour, en nous réajustant au fur et à mesure afin de trouver le bon équilibre entre le fait de prendre soin de nous-mêmes et de contribuer à la communauté.
C’est pourquoi, au milieu de toutes ces inquiétudes et tout ce chaos, j’ai la sensation d’assister à un déroulement étonnant des événements. Non seulement ici, où j’ai la chance de faire partie d’un groupe de personnes incroyables, mais aussi partout ailleurs. Je vois des gens qui s’encouragent et s’entraident, qui partagent leurs pensées et leurs sentiments d’une manière nouvelle, qui osent être vulnérables. Les vieux amis se retrouvent, les membres de la famille sont plus attentifs les uns aux autres que jamais. Les gens font de leur mieux pour apporter leur contribution, en créant des groupes de soutien, en partageant leur art, en trouvant des moyens créatifs de se réunir malgré la distance sociale. Avec ce sentiment d’apocalypse dans l’air, j’ai l’impression que nous n’avons plus le choix : nous sommes obligés de regarder ce qui ne va pas dans le monde, quelles sont les conditions qui nous ont menés vers cette situation. Après tout, nous n’avons pas grand-chose d’autre à faire. Je pense que nous avons tous un peu honte, parce que nous voulions faire durer le plaisir un peu plus longtemps. C’était tellement plus facile de vivre notre quotidien sans se soucier du massacre de notre planète et de ses espèces, du changement climatique, de toutes les inégalités dans le monde. Maintenant, nous nous sentons tous un peu impuissants face à cet ennemi commun, et ces sentiments déroutants, je crois, nous ramènent à l’essentiel, à ce qui compte vraiment. C’est tellement inspirant, et cela me donne vraiment de l’espoir pour l’avenir, et la capacité que nous avons de sortir des sentiers battus et de créer de nouvelles façons de faire face à l’adversité. Car nous savons tous intuitivement que ce n’est que le début, qu’il n’y a pas de “retour à la normale”. Il ne devrait pas y en avoir.
Cela nécessitera quelques ajustements. Ce que nous vivons est difficile. Alors que certains utilisent cette période de la manière la plus productive, d’autres ont encore du mal à saisir l’ampleur des implications de tels événements historiques, et à ces personnes, je voudrais rappeler qu’il est normal aussi, de ne pas être les meilleures versions de nous-mêmes pour le moment. Pour être tout à fait honnête, j’ai moi-même vécu des semaines assez difficiles. Ma famille me manque, c’est dur d’être loin d’eux quand tout est si incertain. J’avais prévu de retourner en Suisse pendant un certain temps, avant que mon vol ne soit annulé. J’ai choisi de ne pas tenter de prendre un autre vol, et je me demande tous les jours si j’ai pris la bonne décision en restant, si les choses vont se calmer dans quelques semaines ou si je risque de rester coincée ici pendant encore de nombreux mois. Et je sais que je ne suis pas la seule à devoir faire face à ces craintes. Je sais que beaucoup de gens aimeraient être la meilleure version d’eux-mêmes, mais qu’ils ont du mal à traverser la journée. Je sais que certains ont la responsabilité d’autres personnes sur leurs épaules et que beaucoup ne savent pas comment ils vont payer leurs factures et nourrir leur famille. Je ne peux même pas imaginer ce que c’est pour les personnes qui n’ont pas de maison où rester, celles qui devaient déjà faire face à d’horribles conditions de vie auparavant. C’est très triste et injuste.
Déjà, je pleure le monde que j’ai perdu, la vie que j’ai laissée derrière moi, car je connais maintenant la fragilité de ce que j’appelais “ma normalité”. Ce virus marque la fin de toute une partie de mon histoire personnelle, ainsi que celle du monde, et je dois en faire le deuil. Pourtant, cette gifle collective me rappelle que nous sommes tous dans le même bateau. Le fait de savoir que la douleur que je ressens est partagée au niveau mondial me donne le sentiment d’être liée à chacun des milliards d’habitants de cette planète d’une manière plus grande et plus forte que jamais. En retenant notre respiration tout en comptant nos morts, nous nous rappelons de notre nature commune, de l’universalité des sentiments instinctifs que nous éprouvons tous en ce moment. Enfin, voici l’occasion pour les habitants de cette Terre de reconnaître l’absurdité des limites et des frontières qui leur sont imposées, et de lutter ensemble pour sauver leur planète.
Cette transition mondiale est à la fois tragique et belle. J’espère que nous prendrons tous le temps d’honorer ces émotions que nous vivons au niveau individuel. Mais surtout, j’espère que nous reconnaîtrons l’immense potentiel de cette situation sans précédent. J’espère que nous saurons être là les uns pour les autres en ces temps difficiles, et qu’au lieu de laisser les futurs obstacles qui en résulteront nous diviser, nous choisirons de recréer ensemble une nouvelle normalité qui sera plus douce, plus tolérante, plus égalitaire et plus respectueuse de cette planète et de ses habitants.
Prenez bien soin de vous mes amis 💕