Les textes suivants font partie d’une série de lettres que j’ai écrites durant le deuil de mon premier grand amour, Numan, décédé d’un cancer en 2017. Retrouvez les lettres précédentes ici.
15.09.2017
Bonjour, Numan.
Ça fait un bail, à nouveau. Désolée d’avoir cessé de t’écrire ; je suppose qu’il y a encore beaucoup de choses que je dois digérer, et je ne suis pas encore tout à fait prête à tout affronter. J’avais besoin de vivre dans le présent, pour un moment. On dit qu’il n’est pas bon de vivre dans le passé. Ne me méprends pas, je pense toujours à toi, tous les jours. J’apprends à me libérer de la culpabilité, et ça prend du temps. Ça m’aide de savoir que tu voudrais que je sois heureuse.
J’ai des nouvelles incroyables pour toi. Tu le sais probablement déjà, et cela doit te faire danser et sauter de joie… métaphoriquement. Tu vas pouvoir continuer à inspirer les gens, de là où tu es. Quelqu’un veut faire un film sur toi un jour, habibi. Sur nous, notre histoire. Sur mon voyage en Palestine et comment tu m’as fait découvrir un tout nouveau monde. C’est fou, non ? Ce n’est qu’une idée pour l’instant et je ne sais pas si cela se réalisera un jour, mais j’aime imaginer que tu pourrais continuer à vivre à l’écran. Je suis tellement heureuse. Je suis heureuse pour moi, bien sûr, mais encore plus pour toi. Tu aurais adoré cette idée. J’aimerais pouvoir te le dire en face à face, ou au moins par téléphone.
Mais je suppose que si tu étais là, ils ne voudraient pas faire un film sur cette histoire, n’est-ce pas ? Quelle ironie. Je ne vais pas être triste à ce sujet, parce que j’ai déjà été assez triste et c’est une bonne nouvelle. C’est une lumière dans l’obscurité de ta mort.
Tu seras toujours en vie, pour moi.
Au revoir habibi ❤️
18.09.2017
Bonjour Numan,
Je me suis rendue compte, après t’avoir écrit l’autre jour pour la première fois en deux mois, que ça m’avait en fait beaucoup manqué. Tu me manques, et j’avais oublié que le fait de te parler de cette façon me fait me sentir à nouveau proche de toi.
Cela fait un an que nous étions en Jordanie ensemble. Tu imagines ? Je ne sais pas où le temps passe. Je me sens toujours coupable, tu sais. Plus qu’avant, en fait. J’ai l’impression de t’avoir laissé tomber. Je ne peux pas m’empêcher de penser que les choses auraient pu se passer différemment, si j’avais pris de meilleures décisions. Je sais, c’est un peu narcissique et je sais que je me répète souvent. J’en suis désolée.
Tu me manques. J’essaie vraiment d’aller mieux, d’aller de l’avant et de me concentrer sur le bon côté des choses, mais l’horreur et la tragédie de ta mort me hantent toujours. Ce film, c’est une bonne nouvelle car il va m’aider à tourner la page. Mais je ne veux pas vraiment tourner la page. Je veux que tu danses et que tu ries. J’ai rêvé de tes parents, la nuit dernière. J’aimerais pouvoir rêver de toi aussi. Un monde où tu serais toujours en vie. J’ai besoin d’aller de l’avant. Tu ne voudrais pas ça pour moi, je sais.
Je continuerai à essayer aussi forte que possible. Pour toi.
Au revoir hobi
Sophie
26.02.2018
Coucou,
Je ne sais pas exactement ce qui me pousse à t’écrire après tout ce temps, ni pourquoi je n’en ai pas ressenti le besoin auparavant. Peut-être que je réalise lentement qu’écrire à une personne morte ne la fera pas revenir. Ça fait presque un an. Un an, tu imagines ? Tu sais ce qui peut arriver en une année entière ?
Tu peux être au sommet du monde et puis plonger dans le trou noir le plus profond, tu peux tomber amoureux, deux fois, tu peux voyager dans sept pays, rencontrer des centaines de personnes, tu peux tant gagner pour ensuite tout perdre. Toute une vie peut se dérouler en un an.
Je suis triste, encore. Je ne sais pas si c’est parce qu’on approche du premier anniversaire de ta mort, ou si c’est tout le reste. Je me sentais bien, depuis un bon moment. C’était agréable. J’avais l’impression de pouvoir respirer à nouveau. Sortir du lit le matin. Mais je suis à nouveau triste. Je suis épuisée, accablée, et je me demande comment j’en suis arrivée là.
Tu me manques. J’aimerais que tu puisses être là, encore. Juste pour parler de temps en temps, tu sais. Tu me manques, et ça fait encore tellement mal parfois. Peut-être même plus, parce que c’est comme si j’étais enfin prête à ressentir la vraie douleur de ta perte. Une putain de douleur qui m’empêche de finir cette lettre.
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