Est-ce que quelqu’un a été gentil avec vous, aujourd’hui?

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Il y a quelques semaines, je devais prendre un train de nuit de Belgrade jusqu’à Budapest. Une fois arrivée à la gare, après m’être perdue dans la ville et avoir dû compter sur la gentillesse des locaux pour m’y guider, on m’a confirmé ce pour quoi deux hommes aimables m’avaient déjà prévenue: il y avait des constructions sur les voies à la frontière, le trajet ne serait donc pas direct.

Le premier train était rempli, principalement de réfugiés. Le wagon était clairement séparé: les passagers “normaux” d’un côté, et eux au fond. C’était comme si personne ne voulait s’approcher, par peur d’attraper une maladie mystérieuse ou quelque chose du genre. La surprise initiale passée, j’ai décidé d’aller m’asseoir de leur côté. Ils avaient tous l’air fatigués, ils avaient tous l’air d’avoir traversé des choses difficiles, et ils avaient tous un air de tristesse dans les yeux. J’étais touchée et curieuse: je voulais connaître leurs histoires. Mais il est délicat de parler de ces choses-là, spécialement quand il y a autant de monde autour. Alors au début, j’ai simplement souri et dit bonjour. Certains d’entre eux avaient l’air vraiment surpris, peut-être de voir une femme seule, la nuit, peut-être parce qu’ils n’avaient pas l’habitude qu’on leur sourie dans ces étranges contrées.
J’ai commencé une conversation intéressante avec deux frères syriens, l’un d’entre avait 15 ans et l’autre 18. Leurs parents n’étaient pas avec eux; je n’ai pas demandé pourquoi. Ils avaient l’air si jeunes et si courageux… Je ne pouvais pas imaginer ce qu’ils avaient dû traverser, et pourtant ils étaient là, à me sourire. Ils m’ont parlé un peu de leur voyage, sans rentrer dans les détails, bien sûr. Alors que nous discutions, quelqu’un assis derrière nous m’a offert des biscuits.
Peu après, des agents du contrôle des frontières sont apparus et ont demandé les passeports de tout le monde. Les deux jeunes hommes sur ma droite ont commencé à s’agiter; quelque chose n’allait pas. Effectivement, quand leur tour est venu, ils n’avaient pas de pièce d’identité à montrer à l’homme. Il les a emmené. Après cela, nous avons dû sortir du train pour prendre un bus afin de traverser la frontière, avant de prendre un autre train, tout cela au milieu de la nuit. C’est là que nos chemins se sont séparés: le groupe de réfugiés a été guidé ailleurs, je ne sais où, et j’ai pris le bus.
Je ne sais pas où ces gens se trouvent à présent, mais j’espère qu’ils sont dans un lieu sûr, un meilleur lieu que celui qu’ils ont quitté. J’espère qu’ils rencontreront des personnes aimables comme elles l’étaient, et qu’elles les aideront à survivre dans la dure société qui les attend.

Malheureusement, j’ai peur qu’ils ne le soient pas. Je ne suis plus vraiment dans cette société, mais je vois les réactions sur les réseaux sociaux; je vois toute la peur, les inquiétudes et parfois même la haine envers les réfugiés. Cela me terrifie. Je vois des gens faire des grandes théories, à clamer que seuls ceux qui ne le méritent pas viennent en Europe, que nous accueillons des terroristes ou qu’ils ne sont pas assez reconnaissants une fois qu’ils sont là.
Est-ce que ces individus ont déjà parlé à l’un d’entre eux, ne serait-ce qu’une seule fois? Est-ce qu’ils ont déjà marché dans un camp de réfugiés? Est-ce qu’ils leur ont déjà demandé leur histoire? Est-ce qu’ils savent ce qu’ils ont traversé, ce qu’ils ont vu, ce qu’ils aimeraient oublier mais ne pourront jamais? Ce que ça fait, de devoir fuir d’un pays en guerre seulement pour arriver dans un lieu rempli de malveillance envers eux?
Je parie que non. Je parie qu’ils ont trouvé tous leurs arguments sur un article en ligne, je parie qu’ils n’ont même pas pris la peine de vérifier leurs sources. Je parie qu’ils n’ont pas essayé d’imaginer ce qu’ils ont enduré, ce qu’ils doivent encore endurer, car aucun être humain avec ne serait-ce qu’une once de compassion dans son cœur pourrait réagir aussi froidement s’ils le faisaient.
Oui, la situation est difficile. Nous n’avons pas vraiment les bonnes infrastructures et nous ne sommes peut-être pas préparés pour accueillir un tel nombre de gens arrivant tous en même temps dans nos pays. Mais quelque chose que nous avons tous, c’est un coeur pour ressentir de la compassion et de l’amour, et un cerveau que nous pouvons tous utiliser ensemble afin de trouver des solutions, au lieu de vouloir repousser le problème. Pendant que nous y sommes, nous pourrions essayer de l’utiliser pour penser aux raisons et aux causes derrière ces guerres, et peut-être se rendre compte que nous avons tous un rôle à jouer dans cette mise en scène horrible.

Ce que je n’ai pas dit, c’est que ce même soir, j’étais fatiguée, effrayée et un peu triste aussi. Pas pour les mêmes raisons bien sûr, et certainement pas avec la même intensité. Le voyage, spécialement quand on est seule, n’est pas toujours aussi facile que l’on pourrait penser. Mais partager ces conversations, ces sourires et ces cookies m’ont aidée à me sentir tellement mieux, m’ont apporté de la joie, m’ont donné envie de partager encore plein d’autres conversations et de sourires et de cookies avec toutes les autres personnes que je rencontrerais sur mon chemin.
Cela fait bientôt cinq mois que je voyage à présent. J’arrive parfois dans des lieux où je ne connais personne et je n’ai aucune idée où aller, et dans chacune de ces situations, j’ai eu la chance de croiser le chemin de bien d’autres personnes aimables qui m’ont aidée, qui m’ont offert un sourire, une main, des informations utiles et même parfois de la nourriture et un abri sans même attendre quoi que ce soit en retour. La plupart d’entre eux ne possédaient probablement pas une grande fortune matérielle, mais n’en étaient pas moins riches. Je suis en Corée du Sud, maintenant, et j’ai été comblée de tellement de générosité depuis que je suis arrivée. Je me sens tellement reconnaissante pour cela chaque jour, et j’espère pouvoir un jour en rendre un peu dans un futur proche. Mon seul regret, c’est que cette générosité ne devrait pas me surprendre; elle ne devrait pas être une exception. La gentillesse devrait être la norme, partout, pour tout le monde. Que coûte un sourire?

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Nous sommes un peuple, nous partageons une terre. Nous sommes ici tous ensemble. Nous avons peut-être des histoires et des antécédents différents, nous traversons tous les mêmes émotions et les mêmes humeurs dans la vie. Nous sommes tous animés par les mêmes aspirations: être en lieu sûr, se sentir aimés et acceptés, pouvoir nous sentir épanouis. Nous avons tous de l’amour et de la bonté dans nos coeurs, au même titre que de la haine et de la peur. Ce que avec quoi vous vous remplissez – c’est votre choix. J’ai pris ma décision il y a longtemps. Vous pouvez choisir aussi, pouvez choisir de lever les yeux au ciel et me penser naïve et idéaliste, fermer cette page et retourner faire ce que vous étiez en train de faire. Ou vous pouvez vous arrêter une seconde et penser à cette histoire, à ce qu’un acte de bonté peut faire. Ceci n’est pas seulement valable pour la crise des réfugiés. Si, après avoir lu ceci, vous sortez de chez vous et donnez un sourire à la personne qui a un air triste sur son visage ou parlez à un inconnu qui semble avoir besoin d’un ami, ou même si vous vous dites qu’après tout, ces gens d’ailleurs qui demandent un abri ne sont peut-être pas tous les monstres que vous pensiez qu’ils étaient, mais simplement des êtres humains avec les mêmes aspirations que vous et moi, alors mon but aura été atteint.

La situation est mauvaise, et des changements doivent être initiés. Mais le premier changement se déroule dans nos esprits. Rappelez-vous ce qu’une courageuse petite fille a un jour dit:

“Personne n’est jamais devenu pauvre en donnant.”

AF

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