Bonjour à tous !
Ce post va être un peu différent de d’habitude.
Je me rends compte qu’en raison de ma situation et des choses que j’écris, mes mots ont une plus grande répercussion, quel que soit le camp que mes lecteurs soutiennent dans le conflit israélo-palestinien. Je peux facilement faire des faux pas, ou heurter certains.
Ce que j’ai toujours voulu faire avec ce blog, c’est de donner des comptes-rendus honnêtes de ma façon de voir le monde à travers mes voyages. Pour ceux qui me connaissent un peu plus, vous vous avez probablement déjà remarqué que j’essaie de toujours voir le meilleur chez les gens ; vous pouvez mettre cela sur le compte de l’utopiste en moi.
Bien que je sois venue ici avec la volonté de rester aussi neutre que possible afin d’avoir une perspective impartiale de ce que je découvre ici, j’ai vite compris que ma présence en Palestine a une signification politique ; je ne pense pas que quelqu’un qui ne soit pas pro-palestinien viendrait faire du bénévolat ici. Mes opinions ont bien sûr énormément évolué depuis que je suis arrivée ici et que j’ai vu tant de choses par moi-même. J’ai pu être témoin de la situation depuis l’intérieur. Ces personnes éloignées dont j’entendais parler aux nouvelles partagent maintenant mon quotidien, sont mes collègues, mes amis, ma famille. Malheureusement, la plupart d’entre eux ont profondément souffert d’une manière ou d’une autre de l’occupation ; ils ont été tirés dessus, arrêtés ou blessés, leurs maisons ont été détruites ou leurs proches envoyés en prison, ils ont vu leurs amis mourir. Beaucoup rêvent de pouvoir sortir d’ici, mais leur droit à la liberté de mouvement leur est refusé.
Il y aurait beaucoup plus à dire sur les injustices auxquelles le peuple palestinien est confronté, mais ce n’est pas le sujet de cet article. Aujourd’hui, je voulais partager avec vous certaines des choses qui se passent dans mon esprit submergé. Je ne parle pas de la tristesse, ni de l’impuissance ; ces émotions sont très présentes, et je dois les gérer tous les jours, mais j’y suis habituée, je les considère comme “normales”. Mais depuis que je suis ici, j’ai découvert d’autres types de sentiments, des sentiments forts et négatifs envers l’occupant, ce qui me met parfois dans une situation difficile.
Mais avant de vous en dire plus, laissez-moi vous parler d’un de mes bons amis.
Nous nous sommes rencontrés lors de nos voyages respectifs il y a quelques mois, et nous avons passé un court mais très bon moment ensemble. Il est originaire d’Israël. A l’époque, je n’aurais jamais pu imaginer que je viendrais à Naplouse quelques mois plus tard. Je me souviens d’avoir parlé du conflit avec lui, et de ne pas vouloir en dire trop parce que j’estimais ne pas en savoir assez, en parlant avec quelqu’un qui a vécu dans cette situation toute sa vie. Je me souviens de ses explications sur les raisons pour lesquelles il avait décidé de travailler dans l’armée, qui me semblaient assez légitimes : la situation est établie, ils vont avoir besoin de gens pour la gérer, donc autant employer des personnes qui veulent faire en sorte que les choses se passent le mieux possible. Il insistait sur le fait que rien n’est jamais noir ou blanc, et je n’ai jamais ressenti en lui la haine envers les Palestiniens que l’on attribue souvent aux Israéliens. Je ne l’ai pas connu très longtemps, mais je sais qu’il est une bonne personne, comme les autres Israéliens que j’ai rencontrés lors du même voyage.
Quand j’ai décidé de prendre l’avion pour Tel-Aviv avant de venir ici, je lui ai envoyé un message sur Facebook : “Je viens dans ton pays”. Pour être honnête, j’avais un peu peur de lui dire la vérité tout de suite. J’ai eu l’impression, et j’ai toujours l’impression, que venir ici a tellement de signification que je ne savais pas comment il réagirait si je lui disais que j’avais l’intention de faire trois mois de volontariat en Palestine. Quand j’ai fini par lui dire, peu de temps après, j’ai été positivement surprise par sa réaction : il était très compréhensif, prêt à me donner plus d’informations et à m’aider, pour les formalités de frontière par exemple. Il m’a également invité à venir le voir à tout moment dans sa ville. Cela m’a fait plaisir.
Après mon arrivée, nous avons continué à bavarder. Il est curieux de savoir ce que je vis, du côté du mur qui lui est interdit.
Voici la traduction de ce qu’il m’a envoyé après l’un de mes premiers messages sur la Palestine :
“Tu devrais absolument voyager ici aussi… À propos, je viens de remarquer tes articles sur ton blog – c’est assez intéressant à lire pour moi, car je ne peux pas aller dans ces endroits et voir comment est la vie là-bas. Les gens qui y vivent affectent ma vie et j’affecte la leur, pourtant je ne les vois presque jamais face à face… Il m’est aussi très difficile de lire certaines de tes remarques. “Considérés par leur oppresseur comme des animaux” ? Je fais partie de l’oppresseur. Je ne considère personne comme un animal. Même les trois Palestiniens qui ont tenté de perpétrer des attentats terroristes ce matin même. Même les deux qui, ce week-end, ont assassiné un jeune père et en ont blessé un autre alors qu’ils faisaient leurs courses, dans un supermarché où vont à la fois des juifs et des Palestiniens. Nous comprenons très bien qu’ils sont humains, nous savons que la violence est alimentée par la douleur, nous ne sommes pas indifférents et nous n’agissons pas par cruauté. Je ne dis pas que tout ce que nous faisons est parfait et juste, mais ne me diabolise pas. C’est le monde réel, et malheureusement, ceci n’est pas une situation de “bons et méchants” “.
C’est ce que j’ai répondu :
“Merci pour ce message – il est très intéressant et je suis heureuse que tu me rappelle ces choses. Je suis désolée pour les mots que j’ai utilisés ; je n’aurais pas dû généraliser, je suis toujours la première à dire qu’il ne faut pas généraliser. Je ne voulais pas inclure tous les Israéliens là-dedans – pour être honnête, je ne faisais que répéter des mots que j’ai entendus de la part des gens ici, parce que certaines situations amènent à penser de cette façon. Je veux être claire sur le fait que je fais une distinction entre le gouvernement israélien et ses citoyens (et tu en es le meilleur exemple !), je devrais le préciser sur mon blog. Est-ce que ça te dérange si j’utilise ton message et que je poste une réponse sur mon blog?“.
C’était il y a un moment, mais je voulais quand même donner une réponse plus élaborée ici, parce que je pense que c’est une question qui mérite d’être discutée.
J’ai mentionné les sentiments contradictoires qui me submergent parfois. Je suis une personne très pacifique, et partisane d’un “monde sans frontières”, peut-être utopique. Nous sommes tous citoyens d’une même planète, nous partageons tous les mêmes émotions. Ainsi, le concept de haine envers n’importe quelle nationalité me répugne.
Cependant, après quelques semaines ici, j’ai découvert des sentiments négatifs non désirés en moi, des sentiments qui se manifestent chaque fois que j’entends dire qu’une fois de plus, les Israéliens ont détruit des maisons, emprisonné ou tué une personne sans défense, par exemple. Le moment qui m’a le plus frappé, c’est lorsque nous nous sommes tous réunis pour regarder cette courte vidéo (réalisée par une Israélienne vivant ici, soit dit en passant). Elle a été suivie d’une discussion très intéressante sur les raisons de notre présence ici.
Ce n’était pas la première fois que je voyais des vidéos de ce genre, mais cette version condensée m’a profondément émue, et je n’ai pas pu empêcher les larmes de jaillir de mes yeux. Plus que cela, je ne pouvais pas m’empêcher de ressentir de la haine. Je ressentais une forte haine pour les personnes qui ont laissé cela se produire, qui ont pris la liberté et la dignité de toutes les belles personnes qui m’entourent, qui ont causé la création de ces horribles camps de réfugiés. Mais qui est-ce que je détestais exactement ? Les citoyens israéliens sont des êtres humains qui pensent faire ce qui est le mieux pour eux. Oui, beaucoup d’entre eux ont probablement subi un lavage de cerveau qui leur a fait penser que tous les musulmans sont une menace pour leur vie et que l’occupation est hautement justifiée, bien que parmi tous ces gens, on pourrait penser qu’ils ne veulent pas que quiconque soit victime de la ségrégation et parfois de traitements similaires à ceux qu’ils ont dû endurer il y a un siècle. Je comprends leur position : la plupart des rencontres qu’ils ont avec des Palestiniens de Cisjordanie sont violentes et effrayantes. Il en va de même dans l’autre sens. Et je crois que, dans une certaine mesure, les Palestiniens subissent aussi un lavage de cerveau, bien qu’ils soient indéniablement les victimes de cette situation. En outre, je condamne totalement toutes sortes d’actes de violence envers les deux parties, et vous ne m’entendrez jamais soutenir les Palestiniens qui s’en vont tuer des civils israéliens.
Je ne déteste pas les citoyens israéliens. Je veux haïr leur gouvernement qui permet et encourage toute cette situation. Mais encore une fois, qui est-ce que je détesterais exactement ? Le “gouvernement” n’est pas une seule personne que je peux blâmer pour tout cela, la société non plus. Mon Dieu, je déteste notre société, parfois, bien au-delà des frontières de ces pays. Nous avons tous notre rôle à jouer dans les horreurs qui se produisent dans le monde en ce moment même. Devrais-je haïr le genre humain ? Dois-je me haïr moi-même ? Non. D’après les quelques choses que j’ai apprises dans la vie, je sais que la haine n’est jamais la réponse. Cette haine ne résoudra jamais aucun problème. L’amour et la compassion, par contre, peuvent. Je ne veux jamais laisser cette haine s’emparer de moi. Mon ami a raison, rien n’est noir ou blanc, personne n’est complètement bon ou mauvais. J’apprécie nos conversations qui me font réfléchir à ces choses et considérer l’autre côté aussi.
Je trouve toujours difficile de comprendre que les Israéliens laissent cela se produire, que si peu d’entre eux contestent réellement ce qui se passe, qu’ils n’ont pas tiré les leçons de l’histoire, qu’ils peuvent tolérer ce stupide mur et tout ce qu’il implique, qu’ils peuvent aller vivre dans les colonies. Je me débats avec cela tous les jours. Je soutiens de toute mon âme le combat des Palestiniens pour la liberté et la dignité. Mais je considère quand même que les Israéliens ont droit à cette même liberté et dignité. Je continue à croire de tout mon cœur que la violence ne mettra jamais fin à ce conflit, que la communication et la compassion peuvent le faire.
Je suppose que ce n’est qu’une petite partie de tout ce que j’ai à dire. Ne vous méprenez pas, je me rends compte que la situation est très, très complexe et que mes solutions de hippies ne vont pas tout changer. Mais c’est peut-être une bonne façon de commencer, qui sait.
Cet article peut sembler inachevé, parce que d’une certaine manière, il l’est. J’essaie de donner un sens à tous les sentiments contradictoires qui me submergent souvent, mais c’est un long processus. J’espère que ce que j’ai dit a pu avoir un sens pour vous. Merci de m’avoir lue.
Paix et amour, tout le monde. ♥️
Salut Sophie,
Je suis tes peregrinations avec interet et admiration tout en souhaitant que tu n’aies pas trop de deconvenues dues a la situation qui semble un peu tendue dans le coin …
Je ne doute pas que ta demarche est appreciee parmi ces gens qui n’ont effectivement pas eu la chance de tirer un bon numero.
Courage.
Affectueusement.
JC