Bonjour tout le monde!

Ca fait un bail. Depuis la fin de l’année passé, on m’a souvent demandée où j’étais, ce que je faisais et pourquoi je n’écrivais rien de nouveau. Je suis désolée de m’être autant déconnectée, mais parfois, on a juste besoin d’appuyer sur le bouton “off” pour quelques temps, vous voyez ce que je veux dire?

…. tant qu’on finit par le remettre sur “on”, quand même.

Je veux être honnête avec vous. Je sais que mes derniers articles parlent d’un nouveau départ et d’accepter les événements à venir avec espoir et résilience, mais je n’ai pas vraiment incarné tout cela, dernièrement. Le syndrome de l’imposteur, vous connaissez? Je prêchais des choses que j’avais énormément de peine à appliquer à moi-même. Peut-être que c’est un début d’explication pour comprendre pourquoi j’ai disparu, un temps.

Cette année a été une sacrée chevauchée pour moi et je ne sais pas trop par où commencer pour rattraper les mois perdus. Je ne veux pas faire semblant, je me suis promise de montrer la vraie moi à mes lecteurs, et cela inclut mes faiblesses et mes moments sombres, aussi. Je ne veux pas trop rentrer dans les détails, parce qu’il est douloureux de replonger dans ces souvenirs difficiles. Je sais pourtant que je dois faire face à moi-même, cependant, et je suppose que c’est un peu ce que j’évitais en n’écrivant pas et ne publiant rien ici pendant tout ce temps.

Maintenant que je commence à aller mieux, je réalise à quel point je suis tombée bas. Certains jours, j’ai l’impression d’avoir fait un aller-retour en enfer, dans mon propre petit enfer personnalisé.  Je ne souhaiterais pas à mes pires ennemis de se retrouver là où mon esprit m’a amenée, où la douleur m’a guidée.  Parfois, la vie te colle une énorme claque dans ta face pas du tout prête, et je crois que j’avais besoin de me souvenir de cela.

Tout a commencé il y a un an, si je dois retracer le parcours de ma longue descente aux enfers. Ca a commencé avec tous ces sentiments non résolus à propos de la Palestine et toutes les injustices incompréhensibles qui se passent là-bas, et le fossé énorme entre ce monde et le mien qui ne fait aucun sens à mes yeux. Je crois qu’aucun d’entre nous n’est ressorti indemne. Là-bas, j’ai vécu des expériences humaines les plus intenses, ressenti un amour et une connexion avec les autres des plus époustouflants et j’ai appris tellement de choses; mais parallèlement à ces sentiments grandissaient une tristesse et un désespoir à propos de la condition humaine qui étaient en train de lentement grignoter mon âme. J’ai quitté cet endroit plus tôt que prévu, physiquement, mentalement et spirituellement vidée, triste de dire au revoir mais en me raccrochant au peu de foi en l’humanité qu’il me restait encore et que je ne pouvais me permettre de perdre.

Le retour en Suisse après une telle expérience a été difficile. Mon amour pour ceux que j’ai laissé derrière n’a pas rendu les choses plus faciles, spécialement pour l’homme qui a changé ma vie à jamais et de qui j’étais encore très amoureuse. J’avais de la peine à aller de l’avant, c’est pourquoi j’avais décidé de marcher le fameux “Chemin de Compostelle”, en Espagne, pour un mois environ, afin d’avoir une destination, de me retrouver, de trouver de la force. Je ne savais pas que la vie n’était pas prête à me laisser partir si facilement. Cette garce m’a frappée à mon point le plus faible, en faisant du mal à la personne que j’aimais. Numan est tombé malade, et depuis ce moment, le peu de joie de vivre auquel je me raccrochais encore s’est dissipé. A peine 20 ans, et on lui a diagnostiqué un cancer.

Alors, je n’ai pas réfléchi et me suis envolée à nouveau vers la région du monde dont j’avais vraiment besoin de m’éloigner quelques mois auparavant, la même région qui dans toutes mes contradictions me manquait tant alors et me manque maintenant encore. Nous nous sommes rejoints en Jordanie. Ce dernier voyage ensemble a été dur, mais merveilleux. Je suis heureuse que Numan ait pu voyager, goûter à mon mode de vie incroyablement chanceux, l’espace de dix jours. Je suis heureuse d’avoir pu lui dire au revoir, même si je ne pouvais pas savoir que ce serait un vrai au revoir. Un “je ne te reverrai ou ne te parlerai plus jamais” au revoir. Je peux toujours le voir marcher hors de notre chambre à Amman, vers la voiture qui l’emmènerait à nouveau auprès de sa famille et  des hôpitaux.  Je peux encore me voir le saluer de la main depuis la fenêtre, et je peux encore me rappeler si clairement comment je me suis sentie, à me retrouver toute seule dans notre chambre, tout à coup.

 

Je me regarde dès lors, et je ne me reconnais pas vraiment. Je crois que depuis ce moment, je me suis lentement dissociée de moi-même, incapable de gérer l’intensité de ces émotions. Maintenant que je leur fais face, j’ai toujours l’impression que je ne peux pas. Mon coeur est brisé et il m’est vraiment, vraiment difficile d’écrire ces mots. Les poser, noir sur blanc, c’est admettre que ça s’est bien passé. Qu’il est parti. Que je n’ai pas pu le sauver.

Mais la vie devait continuer. Alors qu’il battait contre les démons dans son corps, je me battais contre ceux dans ma tête. Je suis allée à Beyrouth et j’ai peu à peu laissé ces démons prendre le contrôle. J’ai perdu tout intérêt. Je ne voulais plus sortir. Je pleurais, beaucoup, jusqu’à ce que je ne ressente plus rien. Je mangeais de moins en moins et ne pouvais jamais trouver de repos; j’étais constamment fatiguée. Et puis, son frère m’a écrit. Il m’a dit que les médecins lui donnaient un mois à vivre. Un mois. Comment est-ce que j’étais censée réagir à ça? Comment aurais-je pu possiblement m’y préparer? Personne ne m’a donné de manuel d’instructions. Alors, j’ai fait la seule chose qui me semblait supportable sur le moment: j’ai versé de la vodka dans mon café du matin. J’ai commencé à parler de Dieu aux gens autour de moi, d’une manière étrangement détachée. J’étais en colère qu’ils puissent croire qu’un Dieu tout-puissant puisse faire quelque chose comme ça à une si belle personne, qu’ils veuillent toujours l’aduler après cela, et croire qu’il est de leur côté.

Nooon. Moi, je ne croyais alors plus qu’au pouvoir tout-puissant de tout soulagement physique, mental et émotionnel, par n’importe quel moyen. Et ça a été, pendant longtemps, la fuite. Ne jamais me permettre de m’asseoir et contempler vraiment la situation. Comment aurais-je pu, comment aurais-je pu possiblement accepter une telle situation? Je me disais: “Quel est le but de faire tout cela, si c’est pour qu’on puisse tous mourir, juste comme ça.” Je veux dire, la vie devient un peu absurde dans un moment. Je ne vois pas ce que j’aurais pu faire d’autre que de me servir de la vodka.

Numan, je suis désolée d’avoir décidé de ne pas revenir pour toi. Je te l’avais promis, mais je n’étais pas préparée à te voir dans cet état. Ton père était d’accord, il pensait que tu ne voudrais pas que je te vois ainsi, que cela te briserait trop le coeur de voir ma douleur. Je me suis cachée derrière cette excuse, mais la vérité, c’est que je n’étais pas assez forte. Je ne pouvais pas être assez forte pour toi, contrairement à ceux qui sont restés à tes côtés jusqu’au bout. Te voir ainsi m’aurait brisée; tu avais besoin de force autour de toi. Crois-moi, ce n’était pas une décision facile. C’était une décision impossible, et je ne pouvais pas faire face à la tragédie de la situation. Comment gérer tout ça? Je ne pouvais pas. Je ne l’ai pas fait.

J’ai été loin, très loin dans la phase de fuite. J’ai terminé en Asie du Sud-Est, dans le mauvais environnement, avec les mauvaises personnes, à faire les mauvaises choses. Je suis devenue accro et ai aimé une personne que je croyais pouvoir sauver. Mais je ne pouvais pas te sauver, et je n’ai pas pu le sauver. J’avais besoin de me sauver moi-même d’abord, mais je ne savais plus comment. J’ai commis erreur après erreur. J’ai arrêté mes études et n’allais nulle part, nulle part ailleurs que vers une course infinie contre  la peur et contre la tristesse. En mars, j’étais au Cambodge en train de me laisser peu à peu aller, quand c’est toi qui t’en es allé. Tu es mort. Je veux dire, il est mort. J’utilise “tu” comme si je lui parlais, mais je sais que je me voile seulement la face, car il est parti. Il était parti, et moi, je n’étais plus qu’un fantôme de moi-même. Depuis, j’ai perdu beaucoup; j’ai perdu de l’argent, mon appareil photo, j’ai perdu ma sanité, j’ai perdu plus de dix kilos et le peu d’énergie qu’il me restait. Je me suis perdue.

Ca ne m’a pas frappée tout de suite, quand il est mort. Je n’ai pas pu aller à l’enterrement, ou voir sa tombe, ou parler à des personnes qui le connaissaient et l’aimaient. Je ne pouvais que rester assise, là-bas, dans ma douleur et ma culpabilité. J’ai ressenti tellement de culpabilité, si vous saviez. Ils disent qu’on vit tous le deuil à notre manière. Et bien, ma manière n’était définitivement pas la plus saine et je ne la recommanderais à personne. Cela m’a pris des mois de déni, mais j’ai fini par émerger de ce cauchemar, quand même. Je me suis faite peur quand j’ai réalisé ce que ma vie était devenue. Je restais enfermée dans ma chambre pendant des jours et des jours à la suite, mangeant à peine, ne faisant presque rien, aux côtés de quelqu’un qui était autant perdu que mois. Je me suis réveillée un jour et ai décidé de briser le cycle. J’ai admis que je ne pouvais simplement pas continuer à faire cela par moi-même, que j’avais besoin du confort et du support de ma maison. J’avais besoin d’aide.

Je suis rentrée il y a quelques mois, quelques mois après le décès de Numan. Depuis, je me suis peu à peu reconstruite, en passant enfin par toutes les étapes du deuil qui viennent après celle du déni. Acceptant lentement que je ne peux pas revenir en arrière, qu’on ne peut que aller de l’avant, tout le temps, quoi qu’il  nous arrive. Depuis que j’ai demandé de l’aide, j’ai été émerveillée par la compassion et la compréhension des gens autour de moi. C’était dur, au début, parce que je ne pensais pas le mériter encore, je pensais qu’après m’être isolée pendant si longtemps, je n’étais plus en droit d’attendre que les autres soient là pour moi. Mais ils l’ont été, et les personnes avec qui je me suis entourée depuis mon retour sont en train de me sauver la vie. Je suis tellement reconnaissante de leur présence. Je suis tellement reconnaissante que la vie m’ait montré que le soleil est toujours là, même derrière les nuages les plus sombres.

Je ne vais pas mentir, c’est encore très dur. Ecrire ceci est douloureux. Pendant longtemps, je me suis mentie à moi-même en pensant pouvoir aller de l’avant en cachant ma douleur et faire semblant que j’étais assez forte. Je ne l’étais pas. Maintenant, je vais bien mieux, mais je pleure encore souvent, et je me sens toujours faible. Je ne suis toujours pas remise de ce qui a bien pu se passer ces derniers mois. Il y a un an, je croyais que j’avais tout compris, et maintenant je suis plus perdue que jamais. Je crois que j’avance peu à peu, et pourtant, en écrivant cet article, je me retrouve à supplier une force imaginaire de le faire revenir, d’effacer ce stupide cancer. J’aurais voulu qu’il vive plus longtemps. Je me sens plus vulnérable d’écrire ceci que n’importe quoi d’autre (et pourtant j’en ai écrit, des pensées intimes), peut-être parce que je ne suis pas vraiment fière de qui j’ai été pendant cette absence, peut-être parce que je me sens un peu pathétique d’être toujours aussi triste à propos de mon ex décédé. Je suppose qu’il y a certaines blessures que seul le temps peut guérir.

Alors voilà, voilà où j’en suis, voilà où j’ai été. Oui bon, vous savez, en gros quoi. Je ne peux pas tout dire. Je suis en Suisse maintenant et je ne sais toujours pas ce qui m’attend pour la suite, mais maintenant, cela ne me dérange pas. Pour l’instant, je veux seulement présenter mes excuses à tout le monde de ne pas avoir répondu à vos messages et de m’être autant détachée pendant autant de temps, mais surtout, j’aimerais vous dire merci, merci, merci d’avoir été là pour moi. S’il y a quelque chose que toute cette histoire m’a apprise, c’est que nous ne sommes pas seuls dans ce monde. Nous avons simplement besoin qu’on nous le rappelle, parfois.

Numan, je ne sais pas pourquoi la vie t’as mis sur mon chemin. Je ne sais pas quel acte de foi nous a fait nous rencontrer à peine un an avant que tu sois destiné à mourir et parfois cela sonne comme une mauvaise blague ou le scénario d’un film très, très triste. Mais je ne regretterai jamais pour une seule seconde d’avoir partagé ces mois avec toi et je te garderai toujours avec moi, où que j’aille. Je sens que rien de ce que je pourrais dire ne pourra jamais t’honorer de la manière dont tu le mérites, qu’aucune photo ne pourra faire justice à ta beauté, qu’aucune vidéo ne pourra transmettre la grandeur qui t’habitait quand tu dansais. Tu inspirais les gens de la manière dont j’espère un jour pouvoir le faire et le monde a besoin de plus de personnes comme toi.

Hé tout le monde, sortez et essayez, tombez amoureux et faites des erreurs, tombez et relevez vous et recommencez le tout parce que même si ça fait un mal de chien, nous avons une chance incroyable d’être encore vivant et cela risque de ne pas durer aussi longtemps que ce qu’on pense. Ne perdez pas trop de temps à penser à demain ou hier, parce que cela risque de vous faire manquer ce que vous avez aujourd’hui.

Voilà pourquoi, même si certains jours j’ai l’impression que mon coeur a été déchiré en morceaux et que je tiens à peine debout, je continuerai à sourire et à faire semblant que tout va bien parce que la vie continue et que la vie est pour les vivants et elle devient vraiment tragique parfois mais nous n’avons pas d’autres choix que d’avancer… continuer à pousser jusqu’à ce que la douleur devienne un peu moins douloureuse.

Soko – We Might Be Dead By Tomorrow

Je lâcherai prise, peu à peu, même si c’est la chose la plus difficile que je n’ai jamais eu à faire. Mais ne t’inquiète pas Numan, une part de toi sera toujours bien vivante, au fond de moi.

Aurevoir, habibi. <3

 

2 thoughts on “Rester forte

  1. Je viens de terminer de lire tes écrits et je n’ai aucun mot pour définir mon ressenti…
    Un peu comme mon retour de mon premier séjour au Togo…
    Je comprends tout à fait cette frustration de raconter nos émotions à des personnes qui n’ont pas vécu ce que l’on a vu.
    Je t’admire, douce Sophie… et espère te voir heureuse dans ta vie de voyageuse.
    Gros bisous

  2. Chère Sophie,
    Te souhaite un très bon anniversaire, une journée sereine qui te permette d’apprécier les bons moments que chaque jour la vie nous propose, quels que soient les embûches qui peuvent se présenter à chaque instant.
    J’ai lu avec intérêt le récit de tes dernières “chevauchées” et les drames que tu as vécus suite aux événements qui t’ont bouleversées.
    Tu nous dis que tu as été profondément fragilisée et que tu as mis du temps à te retrouver et te reconstruire. On peut le comprendre, là vie est un éternel danger au milieu duquel nous sommes nés. Tâchons de survivre de la meilleure des façons. Je te sens assez forte pour y arriver et suffisamment fragile pour te rapprocher des autres qui vont t’y aider.
    Fragilité n’est pas faiblesse.
    Bravo pour ta franchise.
    Passe une bonne journée d’anniversaire et … Toutes celles qui vont suivre.

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