C’est un jour comme un autre, probablement un dimanche ou un mardi, car j’ai un cours dans le camp de Balata cet après-midi. Je me lève le matin au son du réveil de mon téléphone local, vieux d’au moins une décennie. Après avoir partagé un café aromatisé au cardamome avec mes colocataires, je gravis les quelques marches qui me séparent du bureau de Project Hope. « Sabah il-khir ! » Tous les matins, je recharge ma bonne humeur rien qu’en saluant mes collègues présents.
J’ai deux heures différentes avec des classes de maternelle, à 11 h. Je rencontre Haitem, le volontaire local qui m’accompagne ; il va m’aider à traduire ce que je dis aux enfants. Nous marchons ensemble tout en papotant. Aujourd’hui, j’ai prévu des activités consistant à fabriquer des monstres tout en répétant les parties du corps, les nombres et les couleurs. A chaque fois, ils me vident de toute mon énergie tout en me remplissant de joie.
Après quelques heures de battement dans mon appartement, je me mets en route pour Balata. Je pars dans l’autre direction, cette fois, et me mets à marcher vers le centre-ville. En chemin, le marchand de légumes du coin de la rue me sourit et me salue. Je l’aime beaucoup, il m’apprend les noms de légumes en arabe. Une fois arrivée au centre commercial, je serre la main de Jihad, un autre volontaire local qui lui, traduira mon cours de français. Nous descendons au sous-sol pour prendre un taxi partagé. Ils attendent d’être pleins pour partir, c’est l’unique mode de transport ici. Le trajet coûte 2.5 shekels.
Mon arrivée au camp est toujours un moment excitant : chaque fois, je suis surprise par la différence d’ambiance entre ici et la ville, qui n’est qu’à quelques minutes de là. L’endroit est constamment bondé : 50’000 personnes se partagent 2 kilomètres carrés. Les gens me dévisagent, les enfants essaient tous de me saluer dans une langue étrangère. Certains volontaires affirment avoir été la cible de lancers de pierre, mais rien de la sorte ne m’est jamais arrivé. Je me sens en sécurité.
L’endroit m’est apparu tel un labyrinthe, la première fois. Nous nous faufilons dans de petites ruelles, je suis Jihad qui me guide, même si les environs me sont familiers. En chemin, je collecte certains de mes élèves qui sortent à l’instant où il me voient. « Bonjour ! » Je les adore. En classe, les choses peuvent apparaître difficiles : à mon premier cours, les enfants entraient et sortaient à leur guise, aucun d’entre eux n’a jamais de cahier ou de stylo. Pourtant, je les fais jouer, bouger, et j’ai mon fidèle groupe qui m’a adopté, et qui suit mes instructions assidûment. Il y a beaucoup de partage.
Le chemin du retour est toujours également intéressant : je m’attarde plus sur les détails autour de moi, mentalement libre de mes préparations de cours. Les déchets, par terre, les commerces au bord de la rue, les visages des gens. Une fois, j’ai même vu une étable contenant une seule vache, au hasard, entre deux portes donnant sur la rue. Les affiches célébrant des soldats martyrs ou emprisonnés me sont devenues tellement banales que je ne m’y attarde plus vraiment, à part pour essayer de lire ce qu’il y a d’écrit avec l’alphabet arabe que j’ai fraîchement acquis et avec lequel je lutte encore. Jihad m’apprend des expressions, et nous échangeons en français sur nos différences culturelles. Parfois, nous partageons un café après notre retour à Nablus afin de pratiquer nos langues respectives : il étudie le français à l’université.
Avant de rentrer, je passe saluer mon ami Numan, qui s’entraîne à breakdanser dans un centre près de chez moi. Je suis toujours inspirée par ces jeunes qui se donnent à fond dans leur passion. Parfois, cela me rend un peu triste, parce que cela me fait penser à tout le reste, à leur situation. Plus tard, après avoir étudié un peu et passé du temps avec les autres volontaires, je passerai la soirée avec Numan et ses amis, à Balata, dans le village cette fois. Nous échangeons à propos de beaucoup de sujets très intéressants, malgré la barrière de la langue, que mon ami concilie. Nous partageons à propos de religion, de politique, d’art, de société, et j’en passe. Souvent, je suis invitée à manger avec sa famille, expérimentant l’hospitalité palestinienne, comme quotidiennement.
La vue depuis son balcon est magnifique, avec les lumières d’une ville plus lointaine éclairant la vallée. Les prières musulmanes commencent, je me rends compte que je ne les entends presque plus, maintenant.
C’est une journée comme une autre. Ah oui, c’est vrai, je suis en Palestine.